Le Monde, sept. 2000

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Le Kosovo

 

Par David Murray

Une couverture médiatique exemplaire?

        Il y a maintenant près de un an et demi, le 24 mars 1999, s’amorçait le bombardement aérien de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) contre la République fédérale yougoslave (RFY). Suivi au pas par les médias occidentaux, la guerre du Kosovo fut le conflit international dont la couverture médiatique fut la plus importante depuis la guerre du Golfe. Ayant en souvenir le faux charnier de Timisoara et les bévues du conflit irakien, ceux-ci se félicitèrent de leur exemplaire couverture de la campagne aérienne. Il en est à se demander, toutefois, si tel en fut effectivement le cas.

        Avec le recul et à la lumière de plusieurs travaux d’intellectuels, journalistes et organisations internationales, il semble bel et bien que non. Malgré s’être vanté de garder constamment un œil critique sur l’information et les images obtenues, l’essentiel des médias occidentaux – mise à part une poignée de journalistes et intellectuels dissidents – furent complètement soumis aux dires de l’OTAN et n’affichèrent pratiquement jamais le souci de remise en question. Dès que l’OTAN entreprit ses frappes aériennes contre la RFY, sous la bannière d’un « bombardement humanitaire » afin de sauver les Albanais du Kosovo d’un génocide, la presse approuva cette intervention et moussa le concept de « guerre morale ». Ceci se fit sans même s’assurer de la légitimité de l’OTAN à mener une telle guerre. Ne cherchant pas non plus à comprendre la logique de celle-ci, la presse occidentale se confina aveuglément dans la conviction qu’il fallait venir en aide aux Kosovars albanais et ce, sans même savoir si ceux-ci étaient réellement victimes d’un génocide. Qu’en était-il donc de cette guerre ?

 

Une guerre inéluctable… (pour L’OTAN)

        Contrairement à ce qui fut présenté comme un dernier recours afin de faire plier le président yougoslave Slobodan Milosevic aux volontés des Occidentaux, le bombardement de l’OTAN fut une option envisagée à l’avance. Le retrait du Kosovo des observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), une semaine avant les bombardements, venait confirmer le choix de cette alternative. Cependant, il fallait trouver un prétexte pour entériner cette décision. Pour l’OTAN, celui-ci devait se traduire par le refus serbe de signer l’accord de Rambouillet, présenté par les médias comme « l’unique » accord de paix possible. Le refus eut effectivement lieu.

        Toutefois, il aurait pu en être autrement. Comme l’a notamment démontré Noam Chomsky, les options diplomatiques ne furent pas toutes envisagées et la guerre aurait pu être évitée. Par exemple, la résolution de l’Assemblée nationale serbe – qui resta cachée au public – qui dénonçait le retrait des observateurs de l’OSCE et qui favorisait un règlement diplomatique de la question kosovare, ne fut pas prise en considération par les négociateurs occidentaux. Pour ce qui est de l’accord de Rambouillet, les dernières dispositions insérées dans celui-ci – elles aussi cachées au public – après que les Serbes en eurent acceptés les principales dispositions politiques, rendaient le refus serbe inéluctable. En effet, la fameuse Annexe B accordait à l’OTAN « le droit de passage libre et sans restriction et un accès sans ambages dans toute la RFY, y compris l’espace aérien et les eaux territoriales associés » (Le Monde diplomatique, mars 2000). Une mesure qui sapait toute souveraineté yougoslave sur son territoire et donc inacceptable. Le refus serbe en poche, le prétexte pour lancer les bombardements était maintenant acquis. Restait à trouver un mobile de guerre pour le grand public afin de légitimer celle-ci.

        La logique de la guerre du Kosovo présentée au public se fit donc sous l’étendard d’un secours aux populations albanaises en péril. Sur ce point, la passivité des médias fut exemplaire, aucun ne cherchant véritablement à confirmer le génocide ou à contredire les chiffres avancés par l’OTAN concernant celui-ci. Malgré le fait que le régime de Belgrade avait été coupable de nombreuses atrocités par le passé – que l’on pense au massacre de Srebrenica, en 1995 – rien ne garantissait qu’il en était de même pour le Kosovo. Plusieurs faits sont venus corroborer cette hypothèse. Comme le notait l’économiste Michel Chossudovsky, il y avait notamment le fait que des réfugiés albanais se dirigeaient vers la Serbie et Belgrade ! De plus, la confidentialité du rapport de l’OSCE ainsi que les entreprises boiteuses des dirigeants de l’OTAN de prouver  la préméditation du génocide – notamment le plan « fer à cheval » - sont venus confirmer le peu de sérieux de celui-ci.

        C’est cependant la diminution constante de l’ordre de grandeur du nombre de victimes divulguées par les médias qui est venue confirmer l’idée qu’il n’y eut pas de génocide. Au début du conflit, le nombre se situait entre 100 000 et 500 000. Le 19 avril, le département d’État américain annonçait en effet que « 500 000 Kosovars albanais sont manquants, et l’on craint qu’ils n’aient été tués » (Le Monde diplomatique, mars 2000). Une fois la guerre terminée, l’ordre de grandeur tombait dans les cinq chiffres. Le 25 juin, notamment, « le président Clinton confirme le chiffre de 10 000 Kosovars tués par les Serbes » (Le Monde diplomatique, mars 2000). Désormais, ceux qui croient encore qu’il y eut génocide risquent d’être déçus. En effet, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) n’a jusqu’à maintenant exhumé que 2108 cadavres, pour la plupart retrouvés dans des tombes individuelles. Ces données corroborent avec les observations faites par plusieurs organisations internationales et journaux, dont le quotidien espagnol El Paìs, qui se sont rendus au Kosovo afin d’y découvrir la présence de nombreux charniers, ce qui ne fut pas le cas. Il s’avère donc que les victimes albanaises résultent plus de la lutte opposant l’Armée de libération du Kosovo (UCK) aux forces yougoslaves qu’à un massacre soigneusement préparé.

        Pour ce qui est de la conduite de la guerre, plusieurs faits de grande importance passèrent sous silence ou ne furent que brièvement abordés durant les 78 jours que dura le bombardement. En premier lieu, il y a le fait que l’OTAN déclencha ses opérations sans aucun mandat international, violant ainsi la Charte des Nations unies. Ceux qui insistent pour que Slobodan Milosevic soit traduit en justice, devraient aussi en faire de même pour les dirigeants occidentaux. En effet, ces derniers ont violé plusieurs lois de la guerre durant le conflit. Ils ont notamment enfreint le protocole 1 des conventions de Genève de 1949 qui « interdit les attaques contre des personnes ou des biens civils » (Le Monde diplomatique, juillet 2000). Il faut cependant noter que dans le cas présent, les Etats-Unis, la France et la Turquie n’ont pas signé ce protocole, témoignant de leur grand humanisme ! L’organisation Human Rights Watch a quant à elle répertorié la mort d’environ 500 civils yougoslaves due à pas moins de 90 incidents du genre, parmi lesquels figurent le bombardement des quartiers généraux et des studios de la Radio-Télévision serbe. On note aussi d’autres violations du droit international comme l’utilisation de bombe à uranium appauvri. Finalement, pour ce qui est du traitement des  bavures de l’OTAN, la technique pour les atténuer fut simple, comme l’avoua un général de l’OTAN : « Pour les bavures, nous avions une tactique assez efficace. Le plus souvent, nous connaissions les causes et les conséquences exactes de ces erreurs. Mais afin d’anesthésier les opinions, nous disions que nous menions une enquête et nous révélions la vérité que quinze jours plus tard, quand elle n’intéressait plus personne. L’opinion, ça se travaille comme le reste » (Le Nouvel observateur, 1er juillet 1999).

        Arrive maintenant les buts de la guerre. Voilà un domaine où les médias furent totalement muets. En effet, qui sait quels furent les véritables enjeux de cette guerre ? Pour résumer, cette intervention consistait pour l’OTAN (et en premier lieu les États-Unis) à s’implanter solidement dans le Sud-est de l’Europe et à maintenir au plus bas l’influence russe sur le vieux continent, entreprise amorcée avec les Accords de Dayton, en 1995. Cette intervention visait aussi du même coup à redéfinir le rôle de l’OTAN en tant qu’alliance militaire. De plus, bien que la plupart des médias ont considéré le Kosovo comme un espace négligeable, il ne l’est peut-être pas autant qu’on le pense sur le plan économique. En effet, cette région « recèle la plus grande concentration de richesses minérales dans l’ensemble de l’Europe du Sud-est » (Le Monde diplomatique, décembre 1999). Sur le plan géographique, son intérêt est aussi loin d’être négligeable, comme l’explique l’ancien ambassadeur des États-Unis pour l’OTAN : « cette province constitue la porte d’entrée dans des régions d’intérêt primordial pour les Occidentaux – le conflit arabo-israélien, l’Irak et l’Iran, l’Afghanistan, la Caspienne et la Transcaucasie. La stabilité en Europe du Sud est essentielle pour la protection des intérêts occidentaux et la réduction des dangers venant de plus loin à l’Est » (HALIMI serge et Dominique Vidal, L’opinion, ça se travaille…, Agone Éditeur, 2000, p. 12).

        Cette guerre donc, loin d’être banale, tant par son contenu que par son traitement, aura vraisemblablement des conséquences importantes sur la scène internationale. Toutefois, les plus grandes leçons à en tirer pour nous, simples citoyennes et citoyens, se trouvent dans la couverture médiatique qui lui fut accordée. La guerre du Kosovo a, en effet, prouver une fois de plus à quel point il faut savoir rester critique face aux informations qui nous sont transmises et à quel point les médias se trouvent sous la botte des preneurs de décision.

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