L’AFRIQUE N’EST PAS UN PAYS
Par Bryan Pettiford
Alors que de nombreux États du
continent africain fêteront leur demi-siècle d'indépendance dans quelques
années, il est clair que pour une forte majorité de ceux-ci, un constat
d'échec sera de mise. L'Afrique moderne se désagrège lentement,
l'instabilité devenant de plus en plus généralisée, ce qui retarde son
développement socio-économique. L'un des obstacles les plus importants
concernant le développement africain vient de la tendance médiatique, surtout
occidentale, à considérer l'Afrique comme une entité homogène, sans nuance
aucune.
Lorsque les médias nord-américains se
penchent sur les conflits et les événements qui se déroulent à l'étranger,
le moins que l'on puisse dire est qu'ils ne versent pas dans les détails
inutiles. En fait, on vous fait même grâce des détails qui pourraient
s'avérer utiles. Mais quoi de plus normal dans la société de la consommation
rapide, eh oui, consommez et jetez, c'est le nouveau mot d'ordre. Un autre mot
d'ordre génial, et que les économistes récitent dès le berceau, c'est
"mondialisation". Puis vive le progrès! Rien n'est unique,
spécifique, méritant distinction et reconnaissance. Non. Tout est mondial
maintenant, autant s'y faire. C'est l'ère de l'Internet, de la téléphonie
cellulaire et des télé-avertisseurs, du courriel et de Bill Gates. Alors que
les technologies de l'information se développent de plus en plus, il semble que
l'on nous informe de moins en moins. L'Afrique, comme bien d'autres, est victime
de ce phénomène d'agglomération. Tout doit se réduire, se compresser, se
résumer pour que nous, bons citoyens un peu simples d'esprit, puissions bien
digérer ces bribes d'informations qui, à force d'être dépouillées de leur
substance, ne servent à rien. Ou peut-être qu'elles peuvent donner une fausse
image d'une situation donnée. Encore une fois, le continent africain tombe dans
cette définition et encore une fois, il n'est pas le seul. Un cas typique :
vous ouvrez la télévision le soir, vous voyez des Noirs se tuer et l'on vous
dit que c'est en Afrique, voilà. Tout est là, complet, certes réduit mais
complet, vous ne posez pas de questions et vous allez vous couchez en vous
félicitant d'être au fait de la situation africaine. Car il s'agit bien de
l'Afrique et non de l'un des cinquante États qui la composent. Il ne s'agit pas
de nations et de peuples car ils sont tous Noirs et, en ce qui concerne le
reste, mieux vaut laisser tomber car nous en savons déjà trop et que ce
surplus incommensurable de savoir risque de tous nous plonger dans une société
intellectualisée (universitaire?). Mais nous voilà tranquille, épurés de
toute contamination éducative, immunisés quoi. L'impératif devient la
schématisation ou une simplification télégraphique poussée à l'extrême.
Tout devient slogan, une catch-phrase de dire l'Oncle Sam et de cette manière,
l'on facilite encore drôlement la vie, n'est-ce pas? Guerres, famines,
épidémies, corruption, Noirs. Et voilà, avec seulement cinq termes, tout de
l'Afrique est connu. Allez " ouste ", on passe à un autre sujet (car
il ne faut jamais s'attarder sur rien). Vive la modernité! En réalité, c'est
plus que moderne, c'est post-moderne. Oui, parce que dans le fond, tout le monde
sait que le moderne, c'est dépassé, ringard et bon pour la casse. Les
success-stories du continent, comme le Sénégal, ne se voient pas considérés
davantage. Pour les médias, rien n'est plus lassant qu'une histoire qui finit
bien, spécialement en Afrique, car ce continent doit demeurer celui
d'explications simples qui ne peuvent tenir compte d'exceptions ce qui, somme
toute, risque d'embrouiller la vision manichéenne du monde du bon peuple. Or,
maintenant vous savez. Mais que savez-vous vraiment ? Rien assurément, sinon
que l'Afrique n'est pas un pays.
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