Le Monde, sept. 2000

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L’AFRIQUE N’EST PAS UN PAYS

 

Par Bryan Pettiford

        Alors que de nombreux États du continent africain fêteront leur demi-siècle d'indépendance dans quelques années, il est clair que pour une forte majorité de ceux-ci, un constat d'échec sera de mise. L'Afrique moderne se désagrège lentement, l'instabilité devenant de plus en plus généralisée, ce qui retarde son développement socio-économique. L'un des obstacles les plus importants concernant le développement africain vient de la tendance médiatique, surtout occidentale, à considérer l'Afrique comme une entité homogène, sans nuance aucune.

        Lorsque les médias nord-américains se penchent sur les conflits et les événements qui se déroulent à l'étranger, le moins que l'on puisse dire est qu'ils ne versent pas dans les détails inutiles. En fait, on vous fait même grâce des détails qui pourraient s'avérer utiles. Mais quoi de plus normal dans la société de la consommation rapide, eh oui, consommez et jetez, c'est le nouveau mot d'ordre. Un autre mot d'ordre génial, et que les économistes récitent dès le berceau, c'est "mondialisation". Puis vive le progrès! Rien n'est unique, spécifique, méritant distinction et reconnaissance. Non. Tout est mondial maintenant, autant s'y faire. C'est l'ère de l'Internet, de la téléphonie cellulaire et des télé-avertisseurs, du courriel et de Bill Gates. Alors que les technologies de l'information se développent de plus en plus, il semble que l'on nous informe de moins en moins. L'Afrique, comme bien d'autres, est victime de ce phénomène d'agglomération. Tout doit se réduire, se compresser, se résumer pour que nous, bons citoyens un peu simples d'esprit, puissions bien digérer ces bribes d'informations qui, à force d'être dépouillées de leur substance, ne servent à rien. Ou peut-être qu'elles peuvent donner une fausse image d'une situation donnée. Encore une fois, le continent africain tombe dans cette définition et encore une fois, il n'est pas le seul. Un cas typique : vous ouvrez la télévision le soir, vous voyez des Noirs se tuer et l'on vous dit que c'est en Afrique, voilà. Tout est là, complet, certes réduit mais complet, vous ne posez pas de questions et vous allez vous couchez en vous félicitant d'être au fait de la situation africaine. Car il s'agit bien de l'Afrique et non de l'un des cinquante États qui la composent. Il ne s'agit pas de nations et de peuples car ils sont tous Noirs et, en ce qui concerne le reste, mieux vaut laisser tomber car nous en savons déjà trop et que ce surplus incommensurable de savoir risque de tous nous plonger dans une société intellectualisée (universitaire?). Mais nous voilà tranquille, épurés de toute contamination éducative, immunisés quoi. L'impératif devient la schématisation ou une simplification télégraphique poussée à l'extrême. Tout devient slogan, une catch-phrase de dire l'Oncle Sam et de cette manière, l'on facilite encore drôlement la vie, n'est-ce pas? Guerres, famines, épidémies, corruption, Noirs. Et voilà, avec seulement cinq termes, tout de l'Afrique est connu. Allez " ouste ", on passe à un autre sujet (car il ne faut jamais s'attarder sur rien). Vive la modernité! En réalité, c'est plus que moderne, c'est post-moderne. Oui, parce que dans le fond, tout le monde sait que le moderne, c'est dépassé, ringard et bon pour la casse. Les success-stories du continent, comme le Sénégal, ne se voient pas considérés davantage. Pour les médias, rien n'est plus lassant qu'une histoire qui finit bien, spécialement en Afrique, car ce continent doit demeurer celui d'explications simples qui ne peuvent tenir compte d'exceptions ce qui, somme toute, risque d'embrouiller la vision manichéenne du monde du bon peuple. Or, maintenant vous savez. Mais que savez-vous vraiment ? Rien assurément, sinon que l'Afrique n'est pas un pays.

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