Études supérieures. sept. 2000

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Petite autobiographie d’un étudiant de maîtrise

 

Par Martin Gravel

Salut tout le monde !

        Je commence présentement ma deuxième année de maîtrise en histoire et M. Teasdale, rédacteur en chef du Sablier, nouvelle mouture que vous avez entre les mains, m’a gentiment demandé d’écrire quelques lignes sur mon projet de recherche et le cheminement de mes études. Je ne pense pas que ma petite vie d’étudiant soit particulièrement originale, mais si j’ai bien compris, l’objectif de cette série d’articles est de renseigner les étudiants du premier cycle sur la vie après le bac. L’idée me semble excellente. Pour ma part, j’aurais sans doute bien profité de ce genre d’information en hiver 1999 lorsque je me suis retrouvé avec quelques semaines pour me dénicher un directeur de maîtrise et un projet qui fut susceptible de m’amuser pendant un "boutte"…

 

Haut médiéviste ? Pourquoi pas !

        Je suis donc apprenti médiéviste et je m’intéresse tout particulièrement à la première phase du Moyen Âge, celle qui a encore, hélas, très mauvaise réputation : invasions barbares, effondrement de la structure sociale romaine, chute du commerce, grande noirceur, fin du monde, bla-bla-bla-bla-bla… Vous connaissez les clichés et j’en soupçonne quelques-uns d’y adhérer encore. Honte à ceux-là! Je ne suis pas mandaté par Le Sablier pour défendre le Haut Moyen Âge, je dirais simplement que le haut médiéviste dispose en effet de beaucoup moins de sources écrites que les historiens des périodes qui précèdent et qui suivent. Mais justement, moi, ça m’amuse ! Essayer de comprendre 500 années d’histoire européenne avec si peu représente un formidable défi, où l’intuition et l’imagination sont à l’honneur. Les sciences auxiliaires de l’histoire, en particulier l’archéologie et la philologie, contribuent à combler certaines lacunes documentaires importantes. Avoir à consulter régulièrement les travaux de chercheurs oeuvrant dans les autres branches des Sciences sociales est très amusant.

 

Bilan d’une première année aux cycles supérieurs

        Mais à quoi ressemble donc mon travail dans tout ça ? Disons d’abord que ma première année aux études supérieures a été passablement alourdie par ma scolarité et un certain nombre d’engagements parallèles comme auxiliaire d’enseignement, auxiliaire de recherche et comme correcteur. Toutes ces activités s’avèrent très enrichissantes et forment une des plus grosses différences avec la routine du premier cycle. Même pour des tâches, somme toute modestes, c’est un réel plaisir d’avoir la chance de travailler dans des situations où mes responsabilités dépassent mes propres intérêts, plutôt que de "piocher" sur des travaux de fin de session dont les succès ou les échecs ne touchent que moi. Mais être en position d’être apprécié, implique aussi courir le risque de décevoir, qu’il s’agisse de mes directeurs, de mes employeurs ou des élèves qui comptent sur moi pour les corriger décemment et les aider à l’occasion. C’est une grosse affaire, la maîtrise, mais combien stimulante ! À travers tout ça, je suis quand même parvenu à lire suffisamment pour me familiariser avec ma période, mon sujet et une partie de mes sources. Cet été, je me suis enfin rapproché davantage de ma recherche en tant que telle, et ce, en peinant sur la masse de documents latins que je dois aller consulter aux Collections spéciales de la BLSH. Bref, l’année qui commence sera celle de la recherche à temps plein, libérée des embêtements liés à la scolarité, mais avec en parallèle, les différents engagements dont je viens de parler et dont je ne me priverais pour rien au monde.

 

Mon sujet de recherche

        En ce qui concerne mon projet de maîtrise, disons que je me penche sur la correspondance des lettrés qui ont vécu alors que le monde carolingien atteignait ses sommets culturels et politiques, ceux qui ont été formés dans le cadre des programmes d’études établis par les premiers artisans du rêve carolingien. J’espère éclairer la façon dont l’écrit et l’oral étaient alors utilisés conjointement afin de communiquer à distance. La question est importante, car aucun groupe social ne peut exister sans moyens de relier entre elles ses différentes composantes sur l’ensemble de son territoire. Qu’il s’agisse d’un empire ou d’une ligue de balle-molle importe peu. Qui plus est, la façon dont une société met à profit les moyens de communication à sa disposition colore, de façon considérable, le tissu même de ladite société. Or, de l’Empire romain à l’Union européenne, l’Europe n’a pas connu d’entité politique durable aussi ambitieuse et d’une aussi grande étendue que l’Empire carolingien. À elle seule, cette construction sociale de plus de 2 000 000 de kilomètres carrés prouve qu’à la fin du VIIIe siècle en Europe de l’Ouest, les outils nécessaires à l’élaboration d’une entité politique de grande envergure étaient disponibles ou du moins envisageables et parmi ceux-ci l’écriture et ses artisans figurent parmi les plus importants.

        Ceci dit, à ce stade, j’ai dû en dégoûter plusieurs avec mon Moyen Âge, mais je vous encourage à lire la suite, car heureusement la problématique générale de ma recherche est susceptible d’intéresser tout le monde, quelle que soit la période ou le domaine d’étude. C’est la raison pour laquelle j’ai cru bon de vous en parler un peu pour finir.

 

Oralité et écriture : une passionnante problématique.

        Dans l’ensemble, mon projet de maîtrise concerne l’invention, le raffinement et l’assimilation progressive par l’homme de la technologie la plus marquante de son histoire : l’écriture. De ses premiers balbutiements, un gouffre de plus de 5 000 ans nous sépare, pendant lequel tous les aspects de la vie humaine ont été graduellement bouleversés par l’utilisation de ce nouvel outil, qu’il s’agisse de la pensée, de la religion, du droit, du commerce, des arts et de toutes les autres facettes de l’organisation sociale ou de la vie privée. Les schèmes courants de pensée de l’analphabète, surtout celui qui évolue dans un milieu peu ou pas touché par l’écriture, sont étonnamment différents des nôtres, universitaires juniors saturés par l’écrit. Pas question de m’étendre là-dessus, mais pour plus de détails, je recommande fortement la lecture du petit bouquin de l’anthropologue Walter Ong, « Orality and Literacy : The Technologizing of the Word ». C’est un livre amusant et facile, qui parvient cependant à couvrir l’essentiel du sujet. Je paie une grosse "Molson" à quiconque se le tape et vient me dire que ça n’a pas changé grand chose dans sa façon d’appréhender l’histoire et l’expérience humaine en général.

        Cela dit, il serait injuste de vanter l’impact déterminant de l’écriture sans donner à l’oralité la place qui lui revient. Car l’être humain est d’abord et avant tout, l’animal parlant. Le langage apparaît au même moment que l’Homme, si bien que la propension à utiliser la parole pour communiquer est littéralement inscrite dans nos gènes. On peut enlever l’écriture à l’homme, mais le priver du langage le dénature complètement. Encore aujourd’hui, l’oralité est à la base de notre mode de vie et de toute façon, le langage que nous utilisons pour communiquer par écrit est fondé sur l’oral. Qui plus est, l’oralité possède son efficacité propre, ses modalités de fonctionnement, son génie. Des générations de chercheurs se sont penchés sur l’Iliade et l’Odyssée, clamant qu’il y avait là les plus grandes oeuvres littéraires qui soient. Arrivèrent un jour Milman Parry et Albert Lord qui démontrèrent qu’il s’agissait essentiellement de transcriptions d’œuvres orales partiellement improvisées ! Les sociétés construites sur l’oral se passent de l’écrit sans aucun problème et savent trouver ailleurs les moyens de suppléer aux limites de la mémoire et à l’évanescence de la parole dite. L’homme «oral» ne quitte jamais tout à fait l’homme «écrit», mais l’un et l’autre se ressemblent si peu qu’on croirait observer deux créatures différentes.

        Bon, ça suffit! Je me déçois un peu parce que je sens que mes deux derniers paragraphes ne suffisent pas à rendre justice à l’importance de la problématique de l’oral et de l’écrit. Je termine donc en vous lançant moi-même deux ou trois questions : Quel niveau de complexité pourraient atteindre les échanges commerciaux sans la liste, la table et les autres outils que lui fournit l’écriture ? Que serait le Judaïsme si son Dieu n’avait pas daigné écrire sa loi ? Comment aurions-nous pu rejoindre la lune sans plans, sans systèmes de mesure fiables, sans possibilité de consulter la masse de travaux et de résultats d’expérience dont dépend une telle entreprise ? L’Histoire ne débute-elle pas avec les premiers documents écrits ? L’historien qui ignore l’histoire de l’écriture est semblable au menuisier qui ignore la nature du bois qu’il travaille. Ce n’est peut-être pas si grave mais ça manque un peu de charme…

        Voici donc en peu de mots ce en quoi consiste ma recherche et quelles ont été mes expériences de "maîtrisant" jusqu’à date. En espérant que vous puissiez trouver dans ce petit texte des réponses à vos questions concernant la maîtrise ou peut-être des idées pour vos propres travaux, je vous souhaite à tous et à toutes un bon début d’année.

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