Histoire, janv. 2001

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Démocratie et féminisme en Islande : des origines à la décennie de 1980

 

Par Marc-André Durand

conan_phebus@hotmail.com

        Après avoir peuplé une petite île glacée de l’Atlantique Nord, un groupe de Vikings décida de vivre sous une loi commune. Les chefs ainsi que leurs tributs se réunissaient chaque année pour légiférer. Ces réunions sont à l’origine de l’Althing islandais qui, dès 930 après J.-C., forme l’ancêtre de tous les parlements. Deux semaines par été, les Vikings y achetaient et y vendaient des esclaves, racontaient leurs aventures et rendaient justice. Une partie des lois du commonwealth d’Islande étaient lues publiquement par un orateur et en un cycle de trois ans, on avait lu tout le corpus. Jusqu’en 1280, la loi n’était pas publiée.

        Une des premières lois de l’Althing spécifiait que chaque Islandais devait être baptisé comme chrétien. Le Thingvellir étant toujours gelé, les Islandais marchaient une soixantaine de kilomètres pour aller dans les sources chaudes, entre autres pour les baptêmes. Aujourd’hui, les sources thermales sont toujours un lieu de discussion sur la démocratie pour les 200 000 habitants. Chaque matin de Reykjavik, la capitale, les politiciens, les plombiers, les ménagères, et autres se rassemblent pour former la tradition d’échanges et de discussions politiques. Patrick Watson rapporte que «les Islandais affirment qu’ils peuvent, en une heure de discussion, régler tous les problèmes du monde! »

        La démocratie islandaise a l’immense avantage de prévenir la corruption; chaque citoyen pouvant réellement prendre part à la vie politique. Comme en Suisse, la petitesse géographique et démographique du pays joue un rôle important dans le processus législatif.

        Mais même par rapport à la Suisse, l’Islande est minuscule. Ceci tend à prouver que la démocratie est affaire de groupuscule. Son parlement, nous l’avons dit, date de 930 de notre ère, soit avant la confédération helvétique. Mais même le plus ancien parlement du monde resterait jusqu’à récemment phallocrate. Bien que parmi les premiers pays à accorder le droit de vote aux femmes, le «sexe faible » restait mineur sur le plan politique. En 1970, l’Islande n’avait que quatre avocates. En plus d’une relative misogynie, l’Islande comme la Suisse fait face à un nouveau problème : adapter la vie politique à la notion moderne de citoyen tout en restant une démocratie participative. Les Islandais comme les Suisses sont de moins en moins intéressés par la politique. Le développement du féminisme amena une solution : les Islandaises s’intéressèrent, elles, à la démocratie et à la politique. Et elles le firent savoir. En 1975, année internationale de la femme, toutes les Islandaises firent la grève. Le pays fut paralysé.

        Le féminisme islandais avait ceci de particulier : les femmes ne veulent pas seulement une plus grande place politique, elles veulent changer les règles du jeu. En 1980, on crée un Parti des femmes dont trois membres entrent au Parlement, on nomme une femme à la Cour suprême et Vidgis Finnbogadòttir est élue présidente. Elle devient la première femme au monde à être élue à la tête d’un État. À propos de son parti, une femme déclare : «Nous sommes différentes. Notre parti n’a aucune hiérarchie, il n’a pas de chef; nous travaillons ensemble. Les décisions sont prises par consensus. »

        Bien que la lutte pour le pouvoir soit difficile, certaines caractéristiques bien islandaises amènent ce consensus : l’unité raciale, linguistique (le vieux norrois), religieuse (l’Église évangélique luthérienne) et surtout l’intérêt pour les compatriotes qui font de la politique. Les Islandaises ne partagent pas le pouvoir, elles le revoient. Finnbogadòttir féminise la vie politique en lui apportant des valeurs dites féminines : harmonie, économie domestique, consensus, etc.

        La lutte politique des femmes en Islande a un autre trait unique : l’attitude presque maternelle de la présidente qui choquerait plusieurs féministes de d’autres contrées : elle parle de jardin, de famille, etc. De plus, la tradition économique ancestrale des pêcheurs a rendu les Islandaises, seules à la maison, très débrouillardes. Dès l’origine, les hommes Vikings partaient de longs mois et les femmes s’occupaient des institutions, principalement les institutions bancaires. Dès la grève de 1975, la différence entre le féminisme local et mondial s’affirmait : « Les femmes disaient alors : Regardez combien je suis indispensable ! Non pas : Je veux être présidente !, mais bien plutôt : Je suis une femme à la maison et mon rôle est important ». L’Alliance des femmes propose une économie basée sur l’économie domestique : produire le plus possible à la maison et ajuster les dépenses en regard du revenu. En 1988, l’Alliance obtient la balance des 63 sièges du Parlement. Ce parti sans chef utilise le consensus et permet aux non élues de siéger afin qu’un grand nombre de femmes fassent l’expérience parlementaire[1]. L’Alliance repousse toute autorité qui ne découle pas du consensus, même si cela prend plus de temps. Elle reboute le leadership qui est une affaire d’homme. Les membres de l’Alliance croient que si elles devaient choisir une Première ministre, celle-ci, simplement parce qu’elle est une femme, déléguerait ses responsabilités et serait fort différente d’un homme.

        Même les anciennes sagas montraient des Islandaises fortes et capables. L’Alliance donna un nouveau sens à la citoyenneté dans un pays où la démocratie participative s’amenuisait. L’Islande a la chance de n’avoir qu’un seul groupe ethnique, ce qui permet de canaliser l’énergie politique ne servant pas à la survie de la cohésion nationale vers la démocratie[2].

        L’Islande démontre qu’il n’y a pas de démocratie si tous les citoyens n’ont pas le pouvoir de gouverner. Le consensus de citoyens actifs dépasse la formule d’Abraham Lincoln : « Le bulletin de vote est plus percutant que les coups de fusils. » 

 

Bibliographie  

Watson, Patrick et Benjamin Barber. La lutte pour la démocratie. Montréal, Québec/Amérique, 1988, pp. 125, 144, 158-161, 167.

Boyer, Régis. « Islande ». Encyclopeadia Universalis. Paris, Encyclopeadia Universalis (France), vol 12, p. 545-738.

Goetschy, Janine. « Les modèles sociaux nordiques à l’épreuve de l’Europe ». Notes et études documentaires. No 5001, 1994, p. 1-147.


[1] Une ancienne loi permettait aux agriculteurs et aux pêcheurs de laisser provisoirement leurs sièges.

[2] Avec certains auteurs de la démocratie, comme Watson, le Canada est cité comme un exemple de pays qui a tant à faire pour l’unité nationale qu’il ne peut se diriger vers la démocratie réelle.

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