Ernesto Guevara (1er partie)
L’intellectuel, le sportif et
l’aventurier
Par Alain Prénoveau
Toujours sous le
joug espagnol en 1868, la révolution gagne Cuba avec à sa tête Carlos Manuel
de Cespedes. Cependant, il choisit de se suicider plutôt que de se rendre aux
Espagnols qu’il n’aura su chasser. En 1895, Jose Marti, qui avait pris la
relève de Cespedes, meurt au combat. Ironiquement, ce sont les Américains qui
chassent les Espagnols de Cuba. Le 25 avril 1898, Washington invoque la « doctrine
de Monroe » pour déclarer la guerre à l’Espagne. En juillet, les marines
débarquent sur les côtes de Cuba; l’objectif est Santiago. Le colonel Théodore
Roosevelt, le futur président des États-Unis, mène la charge à la tête de
ses troupes. Enfin, le 10 décembre, les deux belligérants signent le traité
de paix à Paris.
Cuba, libéré du
joug espagnol, se retrouve sous l’influence de Washington. Le colonialisme économique
à Cuba porte le nom de la United Fruit.
En 1928, les banques américaines contrôlent 80 % de l’industrie du sucre à
Cuba. Cette année-là, le 14 juin, à Rosario, sur le chemin qui mène vers
Buenos Aires, Celia de la Serna donne naissance à son premier enfant. On lui
donne le nom de son père, Ernesto Guevara. Un an plus tôt, un autre garçon
venait au monde à Cuba. Il s’agit de Fidel Castro Ruz.
Les premières années
de la vie d’Ernesto sont un combat pour sa survie. À l’âge de deux ans, le
bambin a ses premières crises d’asthme. Le climat humide de la grande ville
de Buenos Aires ne lui convient pas. Ses parents doivent se résigner à déménager
dans un lieu au climat sec. Entretemps, Ernesto avait séjourné chez sa grand-mère
où sa tante Beatriz avait pris soin de lui.
Le 4 septembre 1933,
le sergent Fulgencio Batista organise un coup d’État militaire à Cuba. Après
ce succès, le sergent Batista est promu chef des armées. Le 14 janvier 1934,
Batista fait renverser le gouvernement de Grau San Martin qui était jugé trop
progressiste aux yeux de la United Fruit.
Le flot accru
d’exilés espagnols en Argentine, lors de la guerre civile espagnole, décide
les Guevara à créer un comité de soutien pour venir en aide aux Républicains
espagnols. De son côté, Ernesto se lie d’amitié avec les enfants des exilés.
Il entreprend ses premiers combats en tant que chef de guerre en jouant à la
guerre d’Espagne. Lui et sa sœur Celica commandent l’armée « républicaine »
et lancent toutes sortes de projectiles sur les « franquistes ». Le
soir, Ernesto prête une oreille attentive aux récits des exilés espagnols.
Ernesto Guevara est
un très grand sportif malgré sa maladie. Au soccer, il est gardien de but.
Mais, il aime surtout les défis. Il n’hésite pas à défier le champion
local de ping pong qu’il bat lors de sa revanche. Quand Ernesto est en proie
à ses crises d’asthme qui le clouent au lit, il dévore tous les imprimés de
Jules Verne à Pablo Neruda. Il lit aussi les articles du Critica, un journal anti-franquiste, dont l’envoyé spécial
n’est nul autre que le poète communiste Cayetano Cordova Iturburu, le mari de
sa tante Carmen, la sœur de sa mère. Pendant ses périodes de crises, sa mère
en profite pour lui transmettre la culture française, elle qui avait été éduquée
dans une école française et qui a voyagé en France. À l’âge de dix ans,
Ernesto récite du Beaudelaire par cœur.
À Cuba, Fidel
Castro Ruz entreprend ses études chez les frères maristes. Puis, son père le
change d’école et l’envoie étudier chez les jésuites, ce qui lui ouvrira
les portes de l’université. Le jeune Castro aime bien les défis et le sport,
mais ce qu’il préfère avant tout, ce sont les bagarres.
En 1945, Ernesto décide
de faire le métier de son père, celui d’ingénieur. Pendant ses études, il
travaille sur un chantier de construction pour gagner quelques pesos. Entretemps,
il s’attaque à la rédaction d’un dictionnaire de philosophie. Il y met le
bilan de ses connaissances accumulées. Ses cahiers contiennent des concepts épistémologiques
de différentes époques, une critique de la vie et de l’œuvre de Karl Marx,
une synthèse des penseurs classiques, des définitions à l’origine du
socialisme et du marxisme-léninisme et une histoire de la philosophie.
Un jour, la mère
d’Ernesto, une ardente militante, est arrêtée pour avoir scandé « À
bas Peron ! ». Le discours de Juan Peron contre les livres l’avait
scandalisée.
À la Havane, Fidel
Castro Ruz fait son entrée à la faculté de droit. Il se fera élire au sein
de la Fédération des étudiants d’université en tant que délégué des
cours de première année.
En 1946, Ernesto
entreprend des études d’ingénieur à l’université. Ce jeune
anticonformiste possède une aisance pour le calcul théorique. Il impressionne
en développant au tableau la thèse d’un théorème énoncé par un ingénieur-géomètre.
À l’université, il découvre le rugby. Malgré son asthme, il réussit à
faire l’équipe.
En mars 1947, la
mort de sa grand-mère Ana Isabel Lynch le décide à poursuivre des études en
médecine. Le père d’Ana avait fait fortune aux États-Unis. De retour dans
son pays natal, Ana avait épousé Roberto Guevara. Ernesto était très proche
de sa grand-mère et de sa tante Beatriz qui avaient toutes les deux pris soin
du fragile bambin.
En 1948, Fidel
Castro Ruz est propulsé à la « une » de la presse cubaine. Il
avait organisé une manifestation pour protester contre l’assassinat d’un étudiant.
La même année, il part en Colombie pour assister à un colloque d’étudiants
contre les méfaits de l’impérialisme. Des émeutes éclatent et un étudiant
est tué. On photographie Fidel Castro Ruz en train d’haranguer un policier,
ce qui lui vaut une place de choix dans la presse. Toujours en 1948, il épouse
Mirta Diaz-Balart, une jeune fille riche d’Oriente. Puis, en 1949, des marins
américains profanent la statue de Jose Marti. Castro monte une garde
d’honneur autour de la statue. La manifestation sera réprimée dans la
violence. En octobre 1950, Fidel Castro Ruz ouvre son premier cabinet d’avocat
en compagnie de deux associés. Le jeune homme a alors en poche trois doctorats :
droit, droit international et science sociale.
L’année 1950 est
celle de l’aventure pour le jeune Guevara. Le premier janvier, il enfourche sa
bicyclette, sur laquelle il avait monté un petit moteur, pour un périple de 4
500 kilomètres. Il traverse onze provinces à une vitesse de 25 km/h. Ses
regards se portent vers le peuple et ses misères tout le long de son voyage. Il
fait des haltes pour servir d’infirmier. L’une d’elles le conduit dans une
léproserie de San Francisco del Chañar, au nord de Cordoba. Finalement, son
aventure lui vaut la « une » de la revue sportive El
Grafico.
Un jour, dans le
cadre de ses études de médecine, il reçoit l’autorisation d’emporter une
« jambe » dans le but d’étudier la dissection à domicile. Il
emballe donc le membre dans du papier journal qu’il trimbale dans le métro.
Il éclate de rire durant le trajet lorsque les voyageurs remarquent les doigts
de pied qui dépassent de l’extrémité de son étrange paquet. Ce sera la
seule fois qu’il le fera, puisqu’il trouvera préférable de faire ses
dissections sur des chiens et des lapins.
À Cordoba, Ernesto
est invité au mariage de la fille d’un réfugié espagnol. Là-bas, il
retrouve son amour Carmen Ferreyra qui a seize ans. Ils causent tout un choc aux
Ferreyra lorsqu’ils leur apprennent leurs fiançailles.
En
1951, il occupe un emploi d’infirmier sur des navires marchands pour financer
ses études. Pendant ses séjours en mer, il écrit de longues lettres à sa
fiancée. Puis, c’est l’aventure journalistique. Avec quelques copains, il
fonde le magazine de rugby Tackle.
Comme journaliste, il signe ses articles du pseudonyme « Chancho »,
c’est-à-dire « Petit cochon ». En novembre 1951, il travaille à
la clinique du docteur Pisani lorsqu’un accident survient. Pour gagner du
temps, Ernesto ne branche pas le filtre à l’appareil qu’il devait utiliser
pour broyer les viscères contaminés prélevés sur des cadavres. Une terrible
fièvre le terrasse le surlendemain. Pisani accourt à son chevet. Ernesto avait
frôlé la mort.
Durant cette même
année à Cuba, Fulgencio Batista convoque Fidel Castro Ruz pour obtenir son
appui. Celui-ci rejette l’offre de Batista du revers de la main.
En
janvier 1952, Ernesto et un copain d’enfance, Alberto Granada, réalisent leur
rêve de parcourir l’Amérique latine. Ils quittent Buenos Aires sur la
vieille Norton 500 cc baptisée Poderosa
(la Vigoureuse). Ils font une halte à Miramar pour saluer Carmen Ferreyra. Là-bas,
Ernesto a du mal à quitter celle qui l’aime pour poursuivre son périple.
Finalement, il se décide et les deux aventuriers continuent leur route
jusqu’au 17 février lorsque la vieille Poderosa
rend l’âme. Ce sera en « stop » qu’ils poursuivront leur
voyage. Pendant une halte à Chuquicamota au Chili, Ernesto est scandalisé par
les conditions de vie inhumaines des ouvriers d’une mine de cuivre.
L’exploitation capitaliste au Chili le bouleverse. À Cuzco, Ernesto s’imprègne
de la culture inca par des lectures et des visites dans les musées. Puis,
Alberto et Ernesto font l’ascension du Machu Picchu. Pour Ernesto, cette étape
en est une remplie de spiritualité où il se bâtit une âme de révolutionnaire.
Au Pérou, les deux aventuriers sont témoins du racisme et du viol culturel
subit par les autochtones. À San Pablo, ils redonnent le goût de vivre à des
lépreux. Leur aide fût précieuse pour le docteur Brasciani. Ernesto est
considéré comme un demi-dieu pour les lépreux. Après sept mois d’aventure,
les deux aventuriers se disent adieu à Caracas au Venezuela. Alberto a trouvé
un emploi dans un laboratoire et Ernesto rentre à Buenos Aires pour terminer
ses études de médecine.
L’allergologue
Salvador Pisani, qui apprécie le travail d’Ernesto, lui offre un véritable
salaire et une possibilité de carrière. Cependant, beaucoup de choses ont
changé et il refuse l’offre du docteur Pisani.
En juin 1953, il
obtient son diplôme de médecine. Désormais, l’intellectuel, le sportif et
l’aventurier cèderont la place au révolutionnaire.
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