Histoire, janv. 2001

Remonter un niveau
Département d'histoire
Éditorial
Du rédacteur en chef
Le Monde
Politique
Opinion
Culture
Sciences
Entrevues
Voyages
Études supérieures
Sexualité
Délire!
Courrier des lecteurs
Version pdf
Livre d'or

 

"Go back to Europe"

 

Par Guillaume Teasdale

pointdexter40@hotmail.com

        Bonjour chers (ères) historiens et historiennes ! Pour le temps (et l’espace !) d’un article, je vais laisser de côté mon poste de rédacteur en chef pour vous parler d’un sujet qui me passionne beaucoup. Il s’agit des autochtones de l’Amérique du Nord. Les mythes entourant la colonisation de l’Amérique, tel qu’indiqué dans le numéro du Sablier, était le sujet initial que je voulais aborder à propos des Amérindiens. Toutefois, j’ai plutôt opté à vous présenter une perspective d’ensemble sur la problématique des relations eurocanadiennes-amérindiennes, des premiers contacts à aujourd’hui. Commençant par survoler le contexte colonial en Europe, je vais par la suite tenter de tracer pour vous l’évolution, dans ses grandes lignes, de la situation amérindienne au Canada depuis l’arrivée de l’homme blanc.

 

De l’époque classique à la Renaissance européenne: le mythe du sauvage

        Tout d’abord, commençons par définir ce que nous entendons par «sauvage». Au XVIe siècle, les grandes puissances coloniales utilisaient ce terme pour désigner un «personnage sans foi, sans loi, sans roi». Rapidement, l’usage du qualificatif «sauvage» fut attribué aux Amérindiens à la suite des premières découvertes de notre continent. Cela s’explique par le fait que les colons ont constaté que les Amérindiens vivaient dans la nature, ce qui se traduisait, pour un Européen, par une domination de cette dernière sur son résidant, contrairement à la civilisation où l’on affirmait avoir le contrôle sur la nature. L’utilisation du terme « sauvage » fut reçue d’emblée dans le Nord-Est de l’Amérique, car les populations sur place n’avaient pas de structures étatiques, ni de lois écrites et qu’ils portaient peu de vêtements (symbole de pauvreté en Europe).

        Néanmoins, il ne faut pas s’y méprendre. Le mythe du «sauvage» n’est pas né au XVIe siècle en Europe. En effet, déjà à la période classique en Grèce et à Rome ont parlait de sauvagerie lorsqu’il était question des peuples éloignés, peu connus ou mythiques. L’imagination jouait la plupart du temps la plus grande place dans les récits parlant de ces êtres parfois difformes, gigantesques ou minuscules et fréquemment sanguinaires. L’Europe, quant à elle, a hérité de ces légendes avec le début du Moyen Âge, après la chute de l’Empire romain d’Occident en 476. Ayant largement fermenté durant la période médiévale, le mythe du «sauvage» a repris de l’ampleur lorsque Christophe Colomb découvrit l’Amérique en 1492 et qu’il constata que le territoire était habité par des êtres étranges. Dans un contexte d’humanisme en Europe, de telles trouvailles ne pouvaient demeurer secrètes bien longtemps et l’image du «sauvage» prenait une nouvelle tangente. Du fait que l’Amérindien était perçu comme un être sans culture (non-civilisé), cela entrait ainsi de plein fouet avec une époque humaniste où l’on tentait de rehausser la qualité de l’esprit par le développement de la culture.

        À quoi se rapportait le mythe lorsque nous pensons aux Amérindiens et à l’Europe de la Renaissance ? Il était question d’une multitude de légendes et de ouï-dires qui circulaient à la grandeur de la société du vieux continent en lien avec les découvertes coloniales au tournant du XVIe siècle. Pour donner un exemple, une doctrine de l’époque plaçait le monde autour de Jérusalem. Plus l’on s’éloignait de cette dernière, plus l’on se rapprochait des races «monstrueuses». Le Nouveau Monde étant considéré comme l’endroit le plus éloigné de Jérusalem, il était dès lors très probant d’affirmer que des êtres étranges habitaient ce continent, ce qui semblait concorder avec les récits des premiers explorateurs de l’Amérique. À ce sujet, un des faits qui pouvait facilement appuyer un quelconque mythe du «sauvage» était celui que le cannibalisme était pratiqué sur l’ensemble du continent. Bien qu’il s’agissait en réalité d’un rite et non d’une habitude alimentaire, cela ne faisait guère de différence en Europe, les Amérindiens étaient perçus comme des purs barbares. Cependant, comme nous le verrons plus loin, cette image effroyable des Peaux-Rouges assoiffés de sang n’a guère franchi l’étape des contacts superficiels d’exploration (ne pas confondre avec colonisation).

        Il est par ailleurs important de glisser un mot sur les motivations de l’Europe à mettre en place des expéditions vers l’Ouest. Comme nous le savons tous, chaque pays explorateur de l’époque cherchait une route vers l’Orient ou du moins, des richesses. Mais n’y avait-il pas suffisamment de ressources en Europe pour la subsistance de chacun ? Il semblerait que non. La fin du Moyen Âge fut marquée par la montée d’une monarchie plus centralisatrice dans la plupart des royaumes. Ces derniers tendant ainsi à grossir leur armée, cela a entraîné une hausse substantielle des besoins en capitaux, d’où la nécessité de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement.

 

Relations Eurocanadiens-Amérindiens depuis les années 1490

        Maintenant, regardons l’évolution des relations entre Européens et Amérindiens sur le territoire actuel du Canada. Les tout premiers contacts seraient survenus entre des pêcheurs européens et des Béothuks de Terre-Neuve, disparus durant le XIXe siècles, durant la décennie de 1490. Toutefois, nous ne pouvons parler de réelles rencontres puisque les pêcheurs ne mettaient pied à terre que pour faire sécher le poisson sur la plage, et cela que de façon occasionnelle. Ce n’est qu’en 1534, avec l’arrivée de Jacques Cartier dans le golfe Saint-Laurent, que des contacts plus concrets ont eu lieu. Ces derniers surviennent avec des Iroquoiens (ceux-ci ont disparu entre 1542 et 1580). Dès les premiers échanges, les Européens se considèrent supérieurs aux Amérindiens, même si les rencontres se sont déroulées pour la plupart selon les traditions autochtones. Pour des raisons politico-économiques, les relations entre Cartier et les Iroquoiens ont pris fin abruptement en 1542. Les contacts Eurocanadiens-Amérindiens suivants n’ont eu lieu qu’au cours des années 1580 avec le neveu de Cartier, Jacques Noël. Cependant, l’établissement d’Européens (français) au «Québec» n’a débuté définitivement qu’en 1608 avec la fondation de la ville de Québec par Samuel de Champlain. Sans entrer dans les détails de colonisation, c’est à partir de ce moment que je vais vous dresser un éventail des contacts.

        De quelle façon les Eurocanadiens ont-ils exploité leurs relations avec les Amérindiens ? Dans un premier temps, autant pour les Français occupant une partie du Québec actuel que pour les Anglais plus au sud, les Amérindiens, selon les tribus, sont devenus des alliés de l’une ou l’autre des deux puissances (à quelques exceptions près). Ce qui a eu des répercussions importantes pour les Amérindiens, car cela a fait en sorte de diminuer leur population à cause de la montée des conflits militaires, mais également, à cause des épidémies. Cette situation caractérise principalement le XVIIe et le XVIIIe siècle, où les Amérindiens ont été beaucoup plus affaiblis que les colons. Dans un second temps, un commerce des fourrures, à l’avantage des Européens, a pris de l’expansion (et est aussi devenu une source potentielle de litige entre les nations autochtones). Dans un dernier temps, les Amérindiens ont fait l’objet de tentatives de christianisation; d’abord par les Récollets et peu après, par les Jésuites. Cette situation a mené à la création de réserves dès le XVIIe siècle. Nous n’avons qu’à penser à la réserve de Sillery (1638), composée surtout de Montagnais (culture algique). Kahnawake (1716), Oka (1721), Kanesatake et Akwesasne (durant la même période) sont également des réserves issues du mouvement évangélique des Jésuites, à l’exception que ces dernières sont composées essentiellement de Mowaks (culture iroquoise). Avec ce mécanisme d’évangélisation, Alain Beaulieu, professeur d’histoire à l’UQAM, mentionne :«En s’attaquant aux pratiques et aux conceptions religieuses traditionnelles, les Jésuites frappent au coeur de l’identité amérindienne».

        Dans un cadre politique, l’évolution des relations entre Blancs et Amérindiens a suivi un parcours semblable. En 1791, le «Canada» établissait son premier Parlement en n’accordant aucun droit démocratique aux Amérindiens. Près d’un siècle après, en 1857 (époque du Canada-Uni), une loi fut votée pour «émanciper» les Amérindiens, c’est-à-dire ne plus les laisser en marge de la société, ou plutôt les assimiler. En 1869, la Loi sur les Amérindiens accorde pour la première fois un statut distinct aux autochtones reconnus comme Premières Nations. Or, en 1880, on a tenté à nouveau de rendre les Amérindiens plus «blancs» par l’Acte des «sauvages». Ce dernier a été remplacé en 1951 par la Loi sur les Indiens, même si l’idée est demeurée identique. Trudeau et son gouvernement ont suggéré l’abolition du statut amérindien en 1969 avec la présentation du Livre blanc mais l’idée fut abandonnée à la suite des protestations des Amérindiens dont le point culminant fut la sortie, en réponse, d’un Livre rouge. En 1982, dans le contexte du rapatriement de la constitution par Trudeau, le désir «d’émanciper» les Amérindiens a été définitivement abandonné avec l’adoption de la Nouvelle Loi sur les Indiens. Nous pourrions croire que cette saga politique a pris fin en 1985 avec la loi C-31, qui redonnait le statut d’Indien à quelques milliers d’autochtones, mais ce ne fut pas le cas. Malgré le fait que la question amérindienne n’a pas occupé une grande place lors de la dernière campagne électorale canadienne, Stockwell Day et son parti, l’Alliance canadienne, ont manifesté l’intention d’enlever ce statut distinct aux autochtones dans l’intention, selon eux, d’en faire de «vrais» Canadiens.

        Donc, si nous regardons l’évolution des rapports entre Eurocanadiens et Amérindiens, nous sommes en mesure de constater que les problèmes de l’ère coloniale n’ont pas disparu, mais qu’ils se sont plutôt transformés. De choc culturel et d’incompréhension, le litige est devenu plus politisé avec le temps. Un bon exemple qui nous a démontré, de par sa violence, que les Amérindiens (sans toutefois généraliser) souffraient toujours du trouble causé par l’impact de la colonisation est la crise d’Oka en 1990. Malgré le fait que cet événement est un exemple montrant que la problématique des relations colonisateurs-colonisés n’est pas réglée, il en est un parmi tant d’autres. À propos d’un triste événement découlant du conflit opposant les warriors à la «société québécoise», Pierre Trudel, professeur d’anthropologie au Cégep du Vieux-Montréal, commente ainsi :«Go back to Europe est probablement l’une des dernières phrases que le caporal Lemay a entendues le matin du 11 juillet 1990 à Oka», ce dernier qui a été assassiné dans des circonstances obscures.

Haut de la page

Index - Histoire