Le Monde, déc. 2000

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Poutine à la sauce russe, deuxième partie

 

Par Bryan Pettiford 

        Depuis bientôt un an déjà, la Russie possède un nouveau président. Deuxième président élu démocratiquement depuis la chute de l’empire soviétique, Vladimir Poutine semblait posséder une aura quelque peu messianique. La poigne de fer et la «dictature de la loi » de Poutine devaient être les solutions pour retrouver la grandeur perdue de la Russie. Or, puisque nul n’est prophète dans son pays, les choses commencèrent à évoluer différemment depuis l’incident du Koursk (août 2000), le président se voyant pour la première fois ouvertement critiqué. Signe d’une constitution, somme toute, humaine. Car derrière le symbole russe, il y a la réalité russe et cette dernière dépasse largement le cadre politique. La Russie, par son originalité et son importance, ne peut sombrer dans l’oubli.

 

L’esprit russe, âpre, original,
Pareil aux flammes dangereuses,
Impétueux, clair, augural,
Gai parfois, et parfois morose;

            Viatcheslav Ivanov (1866-1949)

        La Russie, à bien des égards, demeure un cas unique dans l’histoire. Souvent ses réactions semblent aller à l’encontre de la communauté internationale. Or, depuis 10 ans, les Russes vivent dans un régime qui se veut officiellement démocratique. L’écroulement du régime soviétique n’a pas vu l’écroulement de certains réflexes qui en étaient son corollaire. Pendant l’incident du Koursk, cette possibilité est devenue une réalité. La Russie est capable de tant d’innovations alors qu’elle stagne dans d’autres sphères. Le régime tsariste a vu certains de ces écrivains devenir des incontournables de la littérature mondiale, dont TolstoÏ et Dostoïevski. L’innovation politique se fait beaucoup plus lente par contre. Lorsqu’on imagine les siècles de tsarisme, additionné  des 72 ans de communisme pour le moins dictatorial, il est compréhensible que la transition vers la démocratie prenne du temps. Vladimir Poutine est très représentatif de cette situation. D’un côté, ce dernier prétend renforcer la démocratie russe en imposant d’une façon brutale la rule of law en promettant de «buter les terroristes jusqu’aux chiottes ». De l’autre, les renforcements des pouvoirs présidentiels à outrance tendent à rendre le discours démocratique très mince et l’exposent comme un simple paravent pour une réorientation autoritariste du régime. 

 

La même voix partout résonne,
Là, comme ici, dans tous les rangs,
« Est contre nous qui ne se donne
À  nous : Honte aux indifférents ! »

            Maximilien Volochine (1877-1932)

 

        Beaucoup de Russes semblent réagir de manière symbiotique avec l’évolution de la scène politique. La révolution de 1917 a vu un certain soulèvement populaire, mais jamais d’ampleur généralisée et surtout pas de façon unanime. La création, qui prend souvent naissance dans la contestation, a toujours été un frein aux aspirations des différents régimes. En effet, dès la prise du pouvoir par les bolcheviques, certains intellectuels, qui pourtant appuyaient les fondements de la révolution, se virent persécutés pour des raisons qui demeurent toujours obscures. Mais la Russie a toujours fasciné les Occidentaux autant que ces derniers ont fasciné les Russes. Par ailleurs, il faut admettre qu’Hollywood a eu bien des difficultés à remplacer les bons vieux communistes pour jouer les bads guys de service. Somme toute, l’inconvénient demeure négligeable pour le Russe moyen. Ordinairement, il est de bon ton de ridiculiser la Russie, considérant l’ensemble de ses problèmes depuis 10 ans. Au reste, elle fut toujours sous-estimée.

  

Toute la terre est sous mes pas;
               Je puis aller, venir,
Mais ceux qui ne reviendront pas
               Sont dans mon souvenir.

            Stéphane Tchipatchev (1899-1980)

 

        Les racines historiques de la Russie sont millénaires. Il serait surprenant que la civilisation russe s’effondre en dix ans de régime pseudo-démocratique. La société risque de connaître d’autres remous, ce qui est parfaitement normal. Comparativement, la France n’est pas devenue la démocratie qu’elle est aujourd’hui quelques années seulement après la Révolution de 1789. Il est d’une évidence que les changements sociaux profonds sont des processus très lents dans une société donnée. Poutine tente de faire d’une pierre deux coups, car tout en renforçant son pouvoir personnel, l’ancien agent du KGB réduit les minces libertés qu’accordait la Constitution. La société civile semble peu sensible à toutes ces magouilles politiques puisqu’elle est depuis longtemps immunisée contre le syndrome Dr Jekyll et M. Hyde qui affecte la politique en Russie depuis les années de la monarchie. La tentation d’une dérive autocratique n’est jamais qu’à un pas lorsqu’il s’agit du pouvoir et un président à la fibre tchékiste n’y serait guère étranger. Mais c’est bien connu, le pouvoir absolu corrompt absolument.

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