Poutine à la sauce russe, deuxième
partie
Par
Bryan Pettiford
Depuis bientôt un an déjà, la Russie possède un
nouveau président. Deuxième président élu démocratiquement depuis la chute de
l’empire soviétique, Vladimir Poutine semblait posséder une aura quelque peu
messianique. La poigne de fer et la «dictature
de la loi » de Poutine devaient être les solutions pour retrouver la
grandeur perdue de la Russie. Or, puisque
nul n’est prophète dans son pays, les choses commencèrent à évoluer différemment
depuis l’incident du Koursk (août 2000), le président se voyant pour la
première fois ouvertement critiqué. Signe d’une constitution, somme toute, humaine.
Car derrière le symbole russe, il y a la réalité russe et cette dernière
dépasse largement le cadre politique. La
Russie, par son originalité et son importance, ne peut sombrer dans l’oubli.
L’esprit russe, âpre, original,
Pareil aux flammes dangereuses,
Impétueux, clair, augural,
Gai parfois, et parfois morose;
Viatcheslav Ivanov (1866-1949)
La Russie, à bien des égards, demeure un cas unique dans l’histoire.
Souvent ses réactions semblent aller à l’encontre de la communauté
internationale. Or, depuis 10 ans, les
Russes vivent dans un régime qui se veut officiellement démocratique.
L’écroulement du régime soviétique n’a pas vu l’écroulement de
certains réflexes qui en étaient son corollaire.
Pendant l’incident du Koursk, cette possibilité est devenue une réalité.
La Russie est capable de tant d’innovations alors qu’elle stagne dans
d’autres sphères. Le régime tsariste
a vu certains de ces écrivains devenir des incontournables de la littérature
mondiale, dont TolstoÏ et Dostoïevski. L’innovation
politique se fait beaucoup plus lente par contre.
Lorsqu’on imagine les siècles de tsarisme, additionné
des 72 ans de communisme pour le moins dictatorial, il est compréhensible
que la transition vers la démocratie prenne du temps.
Vladimir Poutine est très représentatif de cette situation. D’un côté, ce dernier prétend renforcer la démocratie russe
en imposant d’une façon brutale la rule
of law en promettant de «buter les terroristes jusqu’aux chiottes ».
De l’autre, les renforcements des pouvoirs présidentiels à outrance
tendent à rendre le discours démocratique très mince et l’exposent comme un
simple paravent pour une réorientation autoritariste du régime.
La même voix partout résonne,
Là, comme ici, dans tous les rangs,
« Est contre nous qui ne se donne
À nous :
Honte aux indifférents ! »
Maximilien Volochine (1877-1932)
Beaucoup de Russes semblent réagir de manière
symbiotique avec l’évolution de la scène politique.
La révolution de 1917 a vu un certain soulèvement populaire, mais
jamais d’ampleur généralisée et surtout pas de façon unanime.
La création, qui prend souvent naissance dans la contestation, a
toujours été un frein aux aspirations des différents régimes.
En effet, dès la prise du pouvoir par les bolcheviques, certains
intellectuels, qui pourtant appuyaient les fondements de la révolution, se
virent persécutés pour des raisons qui demeurent toujours obscures.
Mais la Russie a toujours fasciné les Occidentaux autant que ces
derniers ont fasciné les Russes. Par
ailleurs, il faut admettre qu’Hollywood a eu bien des difficultés à
remplacer les bons vieux communistes pour jouer les bads
guys de service. Somme toute,
l’inconvénient demeure négligeable pour le Russe moyen.
Ordinairement, il est de bon ton de ridiculiser la Russie, considérant
l’ensemble de ses problèmes depuis 10 ans. Au
reste, elle fut toujours sous-estimée.
Toute la terre est sous mes pas;
Je puis aller, venir,
Mais ceux qui ne reviendront pas
Sont dans mon souvenir.
Stéphane Tchipatchev
(1899-1980)
Les racines historiques de la Russie sont millénaires.
Il serait surprenant que la civilisation russe s’effondre en dix ans de
régime pseudo-démocratique. La société
risque de connaître d’autres remous, ce qui est parfaitement normal.
Comparativement, la France n’est pas devenue la démocratie qu’elle
est aujourd’hui quelques années
seulement après la Révolution de 1789. Il
est d’une évidence que les changements sociaux profonds sont des processus très
lents dans une société donnée. Poutine
tente de faire d’une pierre deux coups, car tout en renforçant son pouvoir
personnel, l’ancien agent du KGB réduit les minces libertés qu’accordait
la Constitution. La société civile
semble peu sensible à toutes ces magouilles politiques puisqu’elle est depuis
longtemps immunisée contre le syndrome Dr Jekyll et M. Hyde qui affecte la
politique en Russie depuis les années de la monarchie.
La tentation d’une dérive autocratique n’est jamais qu’à un pas
lorsqu’il s’agit du pouvoir et un président à la fibre tchékiste n’y
serait guère étranger. Mais c’est
bien connu, le pouvoir absolu corrompt absolument.
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