Histoire, déc. 2000

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Lotbinière, l’exception à la règle

 

Par Stéphanie Charland

        Henri-Gustave Joly de Lotbinière est le quatrième  Premier ministre du Québec.  À plusieurs égards, il diffère de la norme. De 1867 à 1897, tous les Premiers ministres furent conservateurs à l’exception de deux.  Souvenez-vous de la fameuse phrase du curé de paroisse : «  L’enfer est rouge et le ciel est bleu ».  Parmi les deux seuls Premiers ministres non conservateurs, on retrouve Lotbinière, chef du Parti Libéral, et Honoré Mercier qui a fondé le Parti National en 1885 (pour protester contre la pendaison de Riel).  Mais, comme nous le verrons, l’arrivée au pouvoir du libéral Joly de Lotbinière est mouvementée.  Commençons par une petite biographie sur le personnage en question. 

        Henri-Gustave Joly de Lotbinière est le seul Premier ministre à ne pas être né au Canada et à être protestant.  En fait, son père, Gaspard Pierre-Gustave Joly, est un grand voyageur. Il fait le commerce et l’exportation des vins.  Il voyage en Suède, en Allemagne, en Pologne, en Autriche, en Angleterre et au Canada.  Sa famille vient de Suisse, mais depuis le début du 19e siècle, elle est installée en France.  La mère d’Henri-Gustave est une seigneuresse. Julie-Christine Chartier de Lotbinière n’a pas de piètre ancêtre.  La famille est anoblie depuis 1410 par le roi de France, Charles VI.  Alain Chartier de Lotbinière est un secrétaire d’État fidèle et compétent.  Il fait maintenant parti de la nouvelle noblesse seigneuriale.  La seigneurie de Lotbinière, au 19e siècle, est prospère.  La famille maternelle d'Henri-Gustave est une des plus en vue de la colonie.  Pendant que son père est en voyage d’affaire à Montréal, il rencontre Julie-Christine dans le salon.  En 1828, les deux tourtereaux s’épousent à Québec et partent en voyage de noce en France.

        Henri-Gustave Joly naît le 5 décembre 1829 à Épernay, en France.  Il fait son éducation à Paris dans sa famille paternelle.  La famille de son père, membre de l’Église réformée de Paris, l’une des branches les plus strictes du protestantisme de Jean Calvin, l’élève dans l’austérité et la rigidité du climat religieux.  Il fait ses études supérieures à l’institut Keller, à la Sorbonne, à Paris.  Puis, en 1855, il s'installe au Québec et est admis au barreau du Bas-Canada.  Pendant quelques années, il pratique sa fonction d’avocat.  Il épouse une anglophone du Québec, Marguerite Josephte Gowen, dans la Metropolitan Church.  En 1858, il reprend la seigneurie maternelle. 

        Puis, à 33 ans, il débute sa carrière politique.  De 1861 à 1867, il est député du comté de Lotbinière, à la Chambre d’assemblée de la province du Canada.  À la création du Canada en 1867, il est chef de l’opposition à l’Assemblée législative.  Dès 1869, il est considéré comme le fondateur du Parti Libéral du Québec.  Il reste chef de l’opposition jusqu’en 1878.  Il est Premier ministre pendant 18 mois.  Puis, en 1879, il retourne chef de l’opposition jusqu’en 1883 où il laisse Mercier prendre ce rôle de chef. Il démissionne en 1885 à la suite d’un désaccord avec son parti au sujet de l’affaire Riel. 

        En 1867 et 1876, il siège à la Chambre des Communes en vertu de son double mandat.  Après cette démission à la Chambre législative du Québec, il est réélu à la Chambre des Communes.  Il est contrôleur du Revenu intérieur de 1896 à 1897.  De 1897 à 1900, il est membre du Conseil Privé et Ministre du Revenu intérieur dans le cabinet Laurier.  Il termine sa carrière en Colombie-Britannique comme Lieutenant-gouverneur en 1906. 

        Revenons à son ascension jusqu’à son titre de Premier ministre du Québec.  Il l’est pendant 18 mois seulement.  Au mois de mai 1878, l’élection provinciale devient un enjeu important.  Le résultat donne 32 sièges au Parti Libéral et 32 au Parti Conservateur.  Un député indépendant de Trois-Rivière devient l’homme le plus courtisé du Québec.  Finalement, Arthur Turcotte prend position et devient un Libéral, à la grande joie de Lotbinière, mais aussi du Lieutenant-gouverneur.  Le Lieutenant-gouverneur Luc Letellier, de Saint-Just, propose Turcotte à la présidence de l’Assemblée.  Le chef conservateur Chapleau est outré et crie à la corruption.  Alors, ils passent au vote.  Le résultat est polarisé : 32 contre 32.  Turcotte s’élit démocratiquement au poste de président de la chambre.  Pendant son mandat, il termine le chemin de fer de la Rive-nord qui avait été commencé en 1871.  Il s’attaque à la dette, il réduit le salaire de chacun des ministères et surveille la rentrée de fonds.

        Puis, le Lieutenant-gouverneur St-Just est démis de ses fonctions par le nouveau Gouverneur-général, lui-même intime du Premier ministre conservateur du Canada, Macdonald.  Le nouveau Lieutenant-gouverneur, pro-conservateur, scrute et harcèle le gouvernement de Lotbinière.  Cinq députés libéraux se font soudoyer par le chef conservateur et changent de camp en 1879.  Puis, Lotbinière demande la dissolution de la chambre et une autre élection.  Mais, le nouveau Lieutenant-gouverneur Théodore Robitaille refuse et réclame simplement la démission de Lotbinière en affirmant que c’est Chapleau qui dispose maintenant de sa confiance.  Dignement, Lotbinière remet sa démission et retourne au poste de chef de l’opposition jusqu’en 1883.

        Joly de Lotbinière fonde le journal L’Électeur, il est président de la compagnie du chemin de fer de Gosford, vice-président de l’Association forestière américaine en 1885.  Il siège dans plusieurs autres organisations.  Puis, en 1894, il est docteur en Droit honoris causa de l’Université Queens.  Il est nommé chevalier de l’ordre de Saint-Michel et de Saint-Georges. 

        Dans sa circonscription, il se fait constamment réélire, même s’il est protestant et que la très grande majorité des citoyens est catholique.  Son éducation cartésienne lui donne un sens pragmatique.  Mais certains lui reprochent de ne pas être assez combatif.  Son élection au poste de Premier ministre n’est pas très glorieuse, mais les événements eux, sont inusités.  Sir Henri-Gustave Joly de Lotbinière s’impose dans la politique du Québec (et du Canada).  Il rentre dans notre histoire comme l’exception à la règle.

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